9 mai 2025

Le football africain face à son miroir : entre désamour local et passion lointaine

champions league

Sur les terrains de quartier comme dans les stades bondés d’Europe, un paradoxe frappe le continent africain : ses supporters vibrent aux exploits du Real Madrid ou du FC Barcelone, tandis que les championnats locaux peinent à remplir leurs gradins. Ce déséquilibre, loin d’être anodin, révèle une crise identitaire et structurelle qui menace l’avenir du football africain.

En effet, l’engouement pour les clubs européens transcende la simple admiration sportive. Il traduit une défiance croissante envers les ligues nationales, perçues comme moins compétitives, mal organisées ou peu médiatisées. Les supporters, en détournant leur attention et leurs dépenses vers l’étranger, privent les clubs locaux de ressources vitales. Stades clairsemés, sponsors frileux, retransmissions télévisées minimalistes… Ce cercle vicieux asphyxie progressivement l’écosystème footballistique africain. Pourtant, le continent regorge de talents : chaque année, des dizaines de joueurs africains brillent sur les pelouses européennes. Un contraste qui interroge.

Le poids d’une économie sportive fragilisée

L’hémorragie financière n’est pas la seule conséquence. Ce désamour nourrit un complexe d’infériorité culturel, où le football local est relégué au rang de « sous-produit ». Les jeunes rêvent de porter le maillot du Paris Saint-Germain plutôt que celui de leur club de naissance, tandis que les médias locaux consacrent plus d’antenne aux résultats de la Premier League qu’aux championnats nationaux. Cette déconnexion crée une fracture symbolique : le football africain devient une usine à exporter des joueurs, sans parvenir à incarner une fierté collective.

Redonner sens à l’identité footballistique

Or, le défi dépasse la simple modernisation des infrastructures. Il s’agit de reconstruire un récit capable de rallier les cœurs. Les ligues africaines doivent offrir des spectacles de qualité, certes, mais aussi incarner des valeurs locales – résilience, créativité, communauté – qui résonnent avec les aspirations des supporters. Des initiatives émergent : amélioration de la formation des jeunes, professionnalisation des clubs, partenariats stratégiques. Mais sans un engagement massif des pouvoirs publics et des investisseurs privés, ces efforts resteront insuffisants.

L’urgence de créer des héros domestiques

Surtout, le football africain a besoin de ses propres icônes. Lorsque Sadio Mané ou Mohamed Salah brillent en Europe, leur succès devrait servir de tremplin pour valoriser les championnats locaux, et non les éclipser. Imaginez l’impact si ces stars investissaient dans des académies locales ou devenaient ambassadeurs de ligues nationales. Les jeunes y trouveraient alors des modèles accessibles, incarnant à la fois réussite internationale et attachement aux racines.

En somme, l’enjeu est de transformer une passion pour l’Europe en fierté par l’Afrique. Cela suppose de repenser la gouvernance, d’innover dans la médiatisation et de cultiver un patriotisme footballistique. Le continent a les ressources humaines et culturelles pour y parvenir. Reste à écrire une nouvelle page où le football ne sera plus perçu comme une porte de sortie, mais comme un miroir de grandeur.

Car un stade qui vibre au rythme d’un derby local, c’est bien plus qu’un spectacle : c’est l’affirmation d’une dignité collective. Et ça, aucun match européen ne pourra jamais le remplacer.

Aristide le Sage